Master Métiers du livre

Le rapport de l’illustrateur au numérique

Nov 22, 2017 | Édition, Édition numérique

Interviewée en novembre dernier au salon du livre jeunesse Crocmillivre, l’illustratrice Emma C. nous parle du rapport qu’elle entretient avec l’informatique. Objet de son quotidien, le numérique est pour elle un outil indispensable au métier d’illustratrice. Cependant, elle reste attachée aux techniques traditionnelles du dessin. Voici ses explications.

L’apprentissage des techniques informatiques

Emma C. a commencé à s’intéresser au dessin dès l’enfance, à partir de 15 ans, elle savait déjà qu’elle voulait devenir illustratrice. Après l’obtention de son baccalauréat, elle a donc intégré la Haute école des arts du Rhin située à Strasbourg. Là-bas, elle a appris les principales techniques manuelles de dessin mais surtout à maîtriser les subtilités des logiciels de PAO, notamment Photoshop. Ainsi, l’informatique est devenu partie intégrante de sa vie.

« Depuis ce jour, je n’ai pas passé une semaine sans utiliser des outils numériques et sans me rendre sur le Web » nous livre-t-elle.

En effet, elle s’est très vite rendu compte que maîtriser les outils numériques était une qualité prisée par les maisons d’édition. Celles-ci poussant les illustrateurs, même les plus âgés, à s’adapter aux technologies modernes du numérique. Faire un dessin à main levée rend plus compte de la sensibilité de l’artiste et de ses particularités, mais n’est pas assez efficace en terme de rendement. En effet, les éditeurs considèrent que créer un dessin à l’aide de Photoshop est plus rapide et permet un tirage plus net de l’illustration.

Garder son identité visuelle

Une question nous vient à l’esprit : comment garder son identité visuelle lorsque l’on travaille à l’aide de logiciels informatiques ? Cela n’enlève t-il pas les détails du dessin originel ?

Emma C. nous éclaire sur cette question épineuse : « Non, cela ne change rien. La plupart des lecteurs ou des éditeurs me reconnaissent grâce à  mon utilisation des couleurs et des textures ». En effet, si les illustrateurs et graphistes utilisent les mêmes logiciels, cela ne les empêche pas d’ajouter leurs touches personnelles en floutant une partie plus qu’une autre, ou en utilisant des couleurs plus ou moins prononcées. Le travail d’Emma C. se veut très réaliste, avec des tons pastels et des traits irréguliers. Elle souhaite que ses dessins aient l’air d’avoir été faits grâce à des tampons, elle adopte donc un style qu’elle qualifie de « rétro ».

Les réseaux sociaux : un passeport pour le recrutement

La question des réseaux sociaux est primordiale dans ce corps de métier. En effet, les recruteurs de maisons d’édition  sont attentifs à ce qu’il se passe sur la toile. Instagram est le site le plus visité par les recruteurs en recherche de nouveaux talents. De ce fait, un bon nombre d’illustrateurs possèdent des profils sur les réseaux sociaux dans le but de montrer l’étendu de leur savoir-faire.

Emma C. dispose d’un profil Facebook et d’un compte Instagram qu’elle alimente régulièrement. Cependant elle nous précise que c’est une activité chronophage qui demande de la régularité et de la patience. Elle-même y consacre peu de temps car cela l’ennuie mais elle souligne qu’elle « devrait s’y mettre plus sérieusement ». « Bon nombre de mes amis illustrateurs ont été repérés grâce à ça, mais ils passent en moyenne 1 à 2 heures par jour à alimenter leurs profils », nous dit-elle. L’illustratrice n’a pas été recrutée par ce bais mais c’est parce qu’elle disposait déjà d’un fort réseau de connaissances et d’une expérience professionnelle importante chez le magazine jeunesse Georges.

La relation quotidienne au numérique

En règle générale, Emma C. a une très bonne relation avec le numérique, mais uniquement pour le plaisir et  non pas dans le cadre de son travail ! Elle nous suggère qu’elle peut passer des heures entières à « surfer » sur la toile pour chercher des vidéos et des travaux de ses artistes préférés. Cependant, elle déplore le fait qu’elle doive obligatoirement, et dans la majorité des cas, faire ses dessins à l’aide de logiciels et non à la main.

« C’est dommage, dans ces cas-là, l’informatique peut devenir une véritable contrainte pour celui qui désire dessiner sur le papier ».

Certes, la plupart des illustrateurs commencent par faire leur dessin au format papier mais sont irrémédiablement obligés de l’adapter au format numérique, ce qui enlève une certaine authenticité du dessin. D’autant plus que les illustrateurs des générations précédentes se sentent un peu perdus fasse à la complexité des outils informatiques.

Grâce à ses réponses, Emma C. nous éclaire d’avantage sur les formes et enjeux de l’informatique dans le quotidien d’un illustrateur. Oui, les outils numériques sont devenus incontournables pour travailler vite et bien mais ils sont parfois source de frustration. J’insiste sur ce terme car notre interlocutrice a bien souligné le fait qu’elle se voyait comme une technicienne et non comme « une artiste ». Pour Emma C, les passionnés du dessin ne devraient pas en faire leur métier. Il est très difficile pour ces gens d’être heureux et épanouis en tant qu’illustrateurs.

« Certaines personnes sentent leurs talents et leurs imagination bridés », nous confie t-elle.

La dessinatrice ajoute que l’illustration n’est pas sa passion mais son gagne-pain ! Elle aime dessiner pour elle ou ses proches, mais n’oublie jamais qu’elle doit rester professionnelle en dehors de ce cadre précis. C’est sur ce conseil avisé que s’achève notre article.

Nous remercions chaleureusement Emma pour cette interview et lui souhaitons une longue carrière en tant qu’illustratrice.

Ella Nolet –  Master 2 Métiers du livre Dijon 2017-2018