Master Métiers du livre

Louis, chevalier de l’imaginaire

Oct 13, 2017 | Librairie

Entretien avec un libraire pas comme les autres

Le mois dernier, j’ai pu discuter avec Louis, libraire et gérant de la librairie Trollune, à Lyon, boutique spécialisée dans la science-fiction et les littérature de l’imaginaire.

Une boutique et un gérant atypiques

Pour avoir vécu pendant plusieurs années à Lyon avant de m’installer en Bourgogne, je sais de source sûre que Trollune n’est pas un établissement comme les autres. On entre dans un local, petit en apparence, mais dans lequel se cachent de nombreux rayonnages, au cœur d’un vrai dédale de lourdes boites et de volumes colorés. Car si Trollune est la seule librairie spécialisée en littérature de l’imaginaire de Lyon, elle a également la particularité de compléter son offre par des jeux. Et attention, par « jeux », on n’entend pas un Monopoly ou une Bonne Paye ! La niche ludique de Trollune table plutôt sur le jeu de figurines (les joueurs assemblant et peignant leur armée), le jeu de rôle (où on incarne un personnage, et on interagit à l’oral au sein d’une histoire inédite), et le jeu de plateau (un jeu de société aux mécaniques évoluées). Un des atouts de l’endroit, ce sont aussi ses deux salles annexes, où les joueurs peuvent se retrouver autours de grandes tables, afin de se lancer dans le longues parties conviviales.

Et comment Louis en est-il arrivé à travailler là-bas ? À cette question, l’intéressé sourit, avant de raconter son parcours avec malice :
« J’ai d’abord suivi plusieurs formations littéraire, dont plusieurs licences de langues asiatiques, le japonais en tête, en parallèle avec des études de lettres modernes. J’ai ensuite obtenu mon CAPES d’anglais, et ai exercé le métier de professeur en lycée pendant six mois. J’ai ensuite démissionné de l’Éducation nationale, car le métier ne me correspondait pas. À cette époque, mon frère Charles créait sa boutique, et j’ai sur une intuition rejoint le navire ! Et puis des études de lettres, cela a quand même un lien certain avec la librairie, non ? »
Louis est donc dans l’entreprise depuis son lancement, en 2004. S’il n’a pas une formation de libraire à proprement parler, et a appris l’essentiel de son métier « sur le tas », il n’en demeure pas moins, à 37 ans, un professionnel grandement apprécié par ses clients. Toujours de bon conseil, souriant et ponctuant ses journées de jeux de mots sans pareil, il est l’un des piliers de la boutique !

La passion, rempart contre la concurrence numérique

Quand j’évoque l’idée de la concurrence avec Louis, je n’ai même pas besoin de spécifier ma pensée pour qu’il réponde du tac au tac :

« Notre plus grand ennemi, c’est la vente en ligne. Amazon, surtout, bien sûr ».

Dans la niche que représente la littérature SFFFH pour les intimes (ou science-fiction, fantastique, fantasy, horreur), il n’est pas rare de chercher un exemplaire précis, et de se tourner vers le géant Amazon et sa casse des prix impitoyables, plutôt que vers son détaillant de quartier.

Que faire pour résister face à la menace d’internet ? À cela, Louis nous apporte plusieurs éléments de réponse. Tout d’abord, Trollune se distingue par son offre complémentaire de livres et de jeux. En effet, la vente de livres ne représente que 30 % de leur chiffres d’affaire ; comme les littératures de l’imaginaire s’adressent à un public très ciblé, l’offre seule de ce genre d’ouvrages ne serait pas rentable. De plus, la plupart des clients viennent pour les deux types d’offres, et il n’est pas rare qu’un joueur de X-wing (jeu Star Wars) reparte avec le dernier roman sorti de la saga dont est dérivé le jeu. Là où Trollune s’impose également, c’est dans sa proposition de produits anglais, en version originale. En présentant des produits directement importé des États-Unis ou du Royaume-Uni, la boutique s’adresse au large public des expatriés à Lyon, ainsi que des fans ne pouvant attendre la sortie française du livre ou du jeu qui les intéresse, ou qui désirent posséder une exclusivité, certains produits n’étant pas destinés à la traduction. Trollune a vu juste en ciblant la VO et l’imaginaire : on vient dans leur boutique pour l’offre, le conseil, et la satisfaction de trouver directement le produit recherché en rayon.

Car  le magasin s’efforce d’être exhaustif au possible, et de répondre par anticipation au désir de sa clientèle. Louis et ses collègues sont bien placés pour en juger : fonder Trollune, c’était pour eux allier deux passions (jeu et littérature), et répondre à leurs propres désirs de consommateurs. Les sept associés fondateurs regrettaient l’absence d’une boutique alliant librairie, ludothèque et produits anglophones, et ont donc créé l’endroit de leurs rêves, s’assurant une qualité produit et relationnelle sans précédent. Louis précise qu’il connait tous les clients par leur prénom, et ajoute que le contact avec le public est l’un des avantages de Trollune, par rapport à internet : ici, libraire et acheteurs partagent une passion commune, et se retrouvent au sein d’un cadre amical et réconfortant.

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Élargir son activité grâce aux réseaux sociaux et locaux

Aux dernières nouvelles, Trollune se porte à merveille, avec ses sept employés, envisageant même de recruter à la fin de son cursus l’année prochaine Anouck, leur apprentie libraire. Mais Louis nous rappelle qu’ils ne perdent pas le nord pour autant, et sont toujours dans l’optique d’étendre leur activité et leur clientèle. Pour cela, ils comptent continuer de s’appuyer sur les réseaux, numériques comme physiques. En ce qui concerne les collectifs lyonnais, Trollune a plusieurs partenariats, dont un solide avec l’association AOA production (organisation culturelle et événementielle, à l’origine notamment de la première zombie walk de France, et du festival de science fiction les intergalactiques). En offrant des lots pour les tombolas organisées par AOA, et en étant présent sur le salon du livre de leur festival, Trollune continue de se faire connaître.
Le magasin est très lié au milieu culturel lyonnais, notamment grâce au festival de l’imaginaire Octogônes, qui a fêté cette année ces 8 bougies. Organisé à l’automne, au Double mixte, ce festival rassemble les curieux et les passionnés autours d’un salon du livre, de stands dédiés au jeu, de conférences et de dédicaces. Festival organisé chaque année à perte (la location de la salle seule coûte 50 000 €), Octogônes est financé grâce aux recettes du magasin, dont il assure cependant la renommée et la promotion.

Mais la communication passe aussi de plus en plus par Internet, ce dont la boutique est bien consciente. Un des projets en cours et de remodeler le site web, et d’y proposer de la vente en ligne. La commande de produits représente une petite part de leur chiffres d’affaire, pour les demandes spécifiques d’ouvrages qui ne sont pas en rayon, que Louis et ses associés entendent bien développer, afin de continuer à concurrencer le géant Amazon. De plus, Trollune communique beaucoup par Facebook, postant des photos des nouveautés littéraires et ludiques récemment entrées en rayon, et faisant la promotion des soirées ou journées à thème organisées (tournoi de jeux, lecture des œuvres de Tolkien…). La boutique vient également de se doter d’un compte Instagram, pour y mettre en avant son activité, permettant aux fidèles de la suivre, et à des nouveaux de la découvrir via leur réseau de contact.

Un libraire heureux

En conclusion, Louis est ravi dans son activité de libraire et vendeur de jeux. Il dit particulièrement apprécier la diversité de sa clientèle :

« On voit toute sortes de gens ici ! Le spectre de nos acheteurs est large, et couvre l’ensemble de la société, de l’enfant de 10 ans, à l’étudiant, l’adolescent, en passant par le chômeur, jusqu’aux gens avec un fort pouvoir d’achat, qui peuvent dépenser chez nous de très grosses sommes. »

À l’image du quartier où il est implanté (La Guillotière, Lyon septième) le magasin est vivant, et ouvert à tous. La beauté de la chose, selon Louis, c’est que ces gens si différents sont liés par une même passion, grâce à laquelle ils se retrouvent à Trollune. 

Dernière note positive de notre entretien, Louis évoque la féminisation de la clientèle. Si on a tendance à associer les loisirs liés à la culture de l’imaginaire à un public d’avantage masculin, il est de plus en plus acquis que tout le monde peut aimer la SF et les jeux de figurines. De plus en plus de femmes osent franchir le pas, et le seuil de la boutique, peut-être rassurées d’y trouver deux employées féminines !

On ne peut donc qu’espérer que Trollune continuera de résister face à la vente internet, grâce à l’ambiance si particulière qui règne dans son local, et à son équipe passionnée par les produits qu’elle propose. Sur ce je vous laisse, et retourne terminer mon roman de Terry Pratchett, acheté chez Trollune, évidemment…

Marêva Perrier-Bavoux – Master 2 Métiers du livre 2016-2017